Voilà une lecture qui ne devrait pas vous surprendre. Connaissant le secteur d'activité dans lequel j'évolue, le côté un peu mainstream du livre, il était peu probable que je passe à côté sans réagir. En fait, j'avais même décidé de l'acheter avant sa sortie. Et comme j'ai eu la chance d'être à San Francisco au moment de sa sortie aux US, j'en ai profité.
Le fait de commencer à le lire en étant là-bas était d'ailleurs assez grisant, car je visualisais parfaitement le cadre dans lequel il a évoluait, je pouvais palper cette atmosphère si particulière que l'on ne trouve que dans la Silicon Valley.
Mais alors, que ressort-il de ce livre ? Eh bien, j'ai trouvé que c'était une très bonne bio. Très bonne parce que, d'une part, bien écrite (on ne devient pas rédac' chef du Times si l'on est manchot), mais surtout très bien construite. Abordant le sujet sous une forme assez classique, puisque l'on déroule la vie de Steve de manière chronologique, on n'en comprend que mieux la manière dont il s'est construit. Son adoption, sa relation très proche avec son père et le goût de celui-ci pour le travail parfaitement fini jusque dans les moindres détails et surtout ceux que l'on ne voit pas, son goût pour l'ésotérisme et notamment les philosophies asiatiques très en vogues à la fin des années 60, sa passion pour certaines personnes charismatiques, jusqu'à ce qu'il cherche à les dépasser et les écraser, sa capacité à ignorer les sujets qui le dérangent, comme le fait de devenir père trop jeune... Tout ces éléments sont autant de clés de compréhension de sa personnalité.
Une fois ces bases posées, on peut rentrer dans le vif du sujet et décortiquer sa relation avec Steve Wozniak, les objectifs contradictoires qu'ils avaient ; on peut mieux comprendre pourquoi Apple s'est développé vite à la fin des années 70 / début des années 80 et a connu un sérieux coup de frein passé la deuxième moitié de cette décénie. La rupture avec le board d'Apple se consumme de manière limpide sous nos yeux tout comme les causes de sont échec avec NeXT deviennent évidente. Son perfectionnisme, son intransigeance, sa dureté avec ses équipes se transformant parfois en machine à casser des hommes, rien n'est épargné par l'auteur. De la même manière qu'il aborde sereinement les expériences de Steve Jobs avec des drogues, Walter Isaacson présente sans détour les forces et les faiblesses de ce caractère indomptable.
Mais c'est également cette intransigeance envers ses équipes qui ont fait que celles-ci ont été capables de dépasser les limites technologiques de l'époque : interface graphique avec la création des fenêtres qui viennent se superposer (technologie initialement créée par Xerox mais fortement améliorée par Apple), molette de défilement circulaire de l'iPod, écran tactile multitouch, bâtiments tout en verre pour les Apple Store, etc... sans parler de son sens aiguë du design lui permettant d'atteindre des niveaux de compacité poussés et des designs disruptifs.
La dernière partie du livre nous raconte son combat contre la maladie, comment il a, là encore, fermé les yeux sur quelque chose qui le dérangeait, jusqu'à devoir se résigner et combattre celle-ci. On apprécie encore un peu plus, si on ne l'avait pas fait jusque là, à quel point le travail est tout pour lui, et à quel point sa femme a été aimante et conciliante. Car le moins que l'on puisse dire est que Steve était un bourreau de travail, et que sa famille n'a probablement pas beaucoup profité de lui.
Entre mégalomanie (c'est quand même quelqu'un qui poussait le sens du détail jusqu'à faire peindre l'intérieur de ses usines, y compris ses machines, dans des couleurs vives, pour que tout paraisse parfait, quitte à ce que ca finisse par impacter le bon fonctionnement de celles-ci), et empathie pour l'utilisateur, entre vision commerciale, sens du design et compréhension des enjeux techniques, il y a un croisement quelque part où l'on trouve Steve Jobs. C'était quelqu'un d'excessif (comme en attestent ses régimes dissociés à base de fruits inspirés de ses croyances zen, ou sa volonté étant jeune de ne pas se laver). Excessif en tout : dans ses relations aux autres, dans ses visions. Mais c'était quelqu'un qui savait également s'entourer des bonnes personnes, celles qui arriveraient à la fois à canaliser ses passions et à les sublimer (et là, sa femme Laurene ou son directeur du design Jony Ive sont de bons exemples).
Ce livre est un bon livre, c'est une bonne bio. Si tu as l'occasion et que tu es un tout petit peu intéressé par le personnage Jobs ou par une réussite entrepreneuriale, tu peux y aller les yeux fermés. Qui plus est, ca se lit tout seul, y compris en anglais.